NOUVEAU FORUM DES DROITS DIVINS

Elle n'osait bouger, continuant à appeler quand soudain la voix d'Agius monta d'elle ne savait où. Ecoutant l'appel pour essayer de se guider, elle en fut déboussolée. Se retrouver ainsi dans l'obscurité lui faisait perdre pieds. Elle chuta sur ce qui semblait être une chaise, sa jambe la rappela à son bon souvenir.

Un bruissement dans un coin de la pièce lui signala qu'on venait d'ouvrir la fameuse porte par laquelle elle était entrée dans cette maudite pièce. Elle répéta encore son nom, désespérant de le voir vraiment apparaître. Et pourtant, une ombre se dessina dans un semblant de lumière. La pièce pourtant restait atrocement sombre et ce liquide qui avait coulé sur elle la dégoutait rien qu'au contact. Elle chercha à se remettre debout mais sa jambe la terrassa violemment.

Agius, c'est vous ? Aidez moi, je vous en prie ...

Quelle situation honteuse que celle ci. Elle maudissait sa jambe et son accident qui la rendait toujours faible à ses yeux. Ses yeux. Comme elle aimait s'y perdre. Elle observait l'ombre. Oui c'était lui, elle en était persuadée.

Il émit un soupir de soulagement. Ses sens ne l'avaient pas trompé ; elle n'était pas partie.

- J''arrive... Continuez à parler...

Il fit un pas, puis un deuxième. L'obscurité l'enveloppait de son noir brouillard. Soudain, la porte claqua derrière lui sans aucune explication logique. La nuit était désormais complète. Il continua pourtant d'avancer selon son ouïe, trébuchant sur quelques objets non-identifiables.
Il y arriva enfin, il lui prit la main... Cependant, une matière gluante empêchait de toucher directement sa peau ; lui collait aux doigts. Il l'a pris dans ses bras et lui murmura :

- Que s'est-il passé ? Comment allez-vous ?

Agius n'avait jamais été aussi inquiet, même lorsqu'il avait pris ce château par la force, même lorsque sa vie était en jeu.

Agius, je suis ici. Faites attention !

Il entrait déjà dans la pièce et elle n'eut le temps de lui dire que la porte risquait de se refermer que celle ci claqua de la même manière. Elle frémissait, plongée dans cette noirceur dont maintenant les seuls sens qu'elle pouvait avoir était l'ouïe, l'odorat, le toucher. A l'idée de poser à nouveau ses mains sur une matière aussi dégoutante, elle en fut malade. La voix d'Agius approchait, elle le guidait vers lui. Le bruit de ses pas feutré sur ce qui devait être du parquet, la rassurait. A proximité, elle tendit les bras dans la direction de la porte qu'elle avait entrevu. Agius entra en contact avec elle et elle frissonna.

Oh Agius ! Je suis si contente de vous retrouver. Je n'aurais pas dû quitter la chambre. Je ne voulais pas vous réveiller, juste que j'ai besoin de mes herbes pour ma ... Elle fut prise d'une longue tension dans sa jambe. Comme si d'en parler activait la douleur. Jamais elle ne l'avait ressentie aussi fortement. Elle se crispa dans les bras d'Agius, poussant un cri terrible. Oh par Tybald ! Je ... c'est horrible .... Agius ... Elle sentit les larmes couler bien malgré elle.

Il resserra son étreinte et lui murmura quelques mots.

- Calmez-vous, calmez-vous. Je suis là désormais...

Il sentit au creux de ses bras, le corps si frêle, d'où était sorti pourtant un cri terrible d'effroi et de douleur, trembler.

- Qu'avez-vous ? Dîtes-moi tout. Vous êtes affolée... Vous avez mal ?

Agius déglutit à la seule pensée de la savoir blessée. Une nouvelle angoisse le prit : il ne savait pas ce qu'était cette pièce et quel était sa fonction. Pour lui, tout semblait être sorti du même cauchemar dont le voyage n'avait été que les prémices.
Pourtant son étreinte était réelle et il était décidé à ne pas laisser la nuit engloutir ce petit bout de réalité ; il s'y accrochait, désespéré, comme un fou s'accroche à sa raison lorsqu'elle se liquéfie.
L'obscurité de poix lui apportait une odeur nauséabonde, proche de celle d'un cadavre, et qui lui donnait la nausée.
Il posa sa main sur la joue d'Ambroisie, et elle entra en contact avec le chaud sillon de ses larmes salées. Le comte tentait de la rassurer avec quelques mots et de multiples caresses jusqu'à ce qu'elle trouve en elle, la force de lui répondre.

Ses mains étaient posées sur ses bras qu'elle serrait avec un force étonnante. La douleur était vive. Quelques secondes après, elle commençait à s'habituer à cette douleur lancinante qui parcourait sa jambe, la contraignant à l'étendre complètement. Agius se voulait, d'une voix rassurante, d'essayer de la calmer mais toute cette situation devenait des plus grotesques.

C'est ma jambe ... Elle se demanda s'il s'était déjà rendu compte de son handicap depuis la chute dans les bras quartiers. Elle me fait atrocement souffrir et je ne sais pas pourquoi. Comment se fait il que cette porte se soit fermée ? Comment ça se fait qu'il fasse si noir ici. Agius ... qu'elle est cette pièce ? Sa voix résonnait vivement dans ce lieu. Elle sentit comme une odeur de sang, de sueur âpre et de vomit. Son estomac se retourna plusieurs fois. Elle essayait de ne plus y prêter attention, se concentrant sur Agius. Comme elle avait envie d'être de partager un doux baiser dans le calme. Mais il semblait que le destin en décidait autrement.

Il faut que nous sortions d'ici ...

Fallait-il lui dire la vérité ? La question ne se posait même pas dans l'esprit embrouillé du comte. Il plaçait une confiance entière en Ambroisie.

- Ne vous moquez pas de moi... Mais ce château ne m'aime pas... Peut-être est-ce à cause que je l'aie pris par la force... Quoiqu'il en soit, il me refuse l'accès à certaines pièces, laisse d'autres dans l'ombre... Bref, il me nargue...

Puis, il prit le bras d'Ambroisie délicatement pour le mettre autour de sa tête. Avec un geste de connivence, il se leva lentement et se mit en marche, en tâtonnant dans la nuit.

Après s'être cogné contre quelques meubles qu'Agius identifiait comme étant des chaises, ils trouvèrent enfin une longue façade de bois... la porte ! Ils allaient enfin sortir de ce nouveau traumatisme ! Ils l'ouvrirent avec hâte et une bouffée de lumière pâle les accueillit lorsqu'ils découvrirent le couloir qu'ils avaient quitté. Cela faisait une éternité déjà.

Ce lieu me fait froid dans le dos, Agius.

Il l'avait prise sous son aile protectrice et déjà elle se sentait un peu plus en sécurité quand il était là. Son coeur battait plus fort d'être ainsi à nouveau dans sa promiscuité. Il l'aida à avancer et par chance, il retrouva la porte d'entrée qu'elle n'avait pas su retrouver seule. Etait ce lui que ce lieu visait ainsi ? Où bien elle ? N'avait elle pas cherché à sortir de là sans y arriver ?

Ses multiples questions n'auraient sans doute pas la réponse avant longtemps. Elle se retourna, la lumière pénétrant enfin dans cette pièce lugubre. Elle poussa un petit cri de surprise et d'horreur.

Le cocher était là, pendu au lustre, se balançant, le sang coulant le long de ses bras et de ses mains, tombant goute à goute dans une mare noirâtre.

Elle serra Agius plus fort, frémissant sous cette scène.

- Par Thomas !

Seul cette exclamation parvint aux lèvres du comte. Le spectacle effroyable et sanglant de ce serviteur si longtemps côtoyé était une torture incomensurable. Ces longues années de service accompli réduit à un tas de chair pendu au bout d'une corde. Comme la vie est fragile... elle se balance au bout d'un fil avant l'étranglement final. Ah cruelles Parques ! Pourquoi avoir pris la vie de ce compagnon fidèle ? N'y avait-il pas assez d'hommes sur cette terre pour contenter votre ciseau affamé ?

Agius quitta, un instant, l'étreinte des bras d'Ambroisie pour refermer violemment la porte.
Le visage crispé, il se tourna vers son aimée :

- Nous allons descendre pour votre tisane, je vous offre mon épaule... Ensuite, un brin de toilette s'impose dans votre cas... Mes domestiques nettoieront cette pièce...

La porte claqua violemment, faisant sursauter Ambroisie. Elle le voyait empli de tristesse. Il essayait malgré tout de garder contenance, mais elle voyait clair en lui. Sa peine était perceptible, cachant même une colère d'injustice profonde.

Elle ne portait là qu'une petite chemise, sans rien d'autres pour se cacher face aux domestiques qui se pressaient dans le petit boudoir. Elle en avait presque oublier sa tenue face aux évènements. Ses mains et ses jambes étaient couvertes du sang du cocher. Sa chemise était tachée de trainées rougeâtres. Sur son visage et dans ses cheveux, les même trainées suivaient le cheminement logique. Elle fixa Agius après avoir s'être aperçue de cet état de fait. Sa jambe lui faisait horriblement mal. Cela faisait deux fois en si peu de temps qu'elle se retrouvait tachée de sang. Le dilemme étant maintenant de savoir ce qui était le plus urgent : la douleur physique ou la douleur morale ?

Agius semblait lui offrir la solution à ses questions. Se posant contre lui, le laissant la maintenir, presque la porter, ils se dirigèrent vers le hall et l'escalier quand elle pensa que ses herbes étaient dans la chambre qu'elle avait quitté la veille.

Mes herbes sont dans mon sac ...

Avant même qu'elle n'aille plus loin, le valet répondit qu'il s'en occupait de suite. Il se retourna et se précipita vers le boudoir.

Arrivés au rez de chaussée, elle admirait le bâtiment qu'elle voyait pour la première fois. La salle à manger se trouvait non loin. Les couloirs lui semblaient bien froid. Agius l'aida à s'assoir délicatement, attendant que la tisane arrive. Il réajusta le feu de l'âtre afin que celui ci prenne plus d'ampleur et offre sa chaleur.

Je vais devoir repartir pour Vertus ... Ils m'attendent là bas ... Je devrai liquider certaines affaires, ça prendra quelques jours ...
Elle avait dit cela d'une ton doux et triste à la fois. Elle le regardait avec tendresse, posant son regard velouté sur celui pour lequel son coeur chantait au diapason.

Même accoutrée d'une petite chemise et tâchée de sang, elle restait belle. C'était comme une beauté en marbre aux divines proportions trônant dans un jardin qui malgré le lierre et la mousse garde en elle quelque chose de gracieux et de sublime ; les dégâts physiques et moraux n'avaient pas porté atteinte à son corps séraphique.
Assis à ses côtés, Agius lui prit la main et lui sourit.

- Je comprends. Prenez le temps qu'il vous faudra. De toute manière, les souvenirs de cette nuit pourront me contenter pendant quelque temps de votre absence.

Il fut coupé par l'arrivée du serviteur, un sac à la main. Il déposa la sacoche sur la table avant de faire bouillir un peu d'eau. Pendant son manège, Agius ne pouvait quitter ses yeux de ceux d'Ambroisie, ses doigts s'entremélant aux siens. S'arrachant à sa douce rêverie, il ordonna au serviteur d'aller préparer de l'eau chaude pour la toilette de cette dame. Celui s'exécuta après avoir déposé un pot d'eau enfin bouillante sur la table accompagnée d'un gobelet de métal. Il s'éloigna en multiples révérences circonspectes après avoir salué Ambroisie :

- Voilà pour votre tisane madame. Le bain sera prêt, je m'en occuperai en personne.

Ils étaient assis à la table, attendant que la tisane puisse se préparer. Les yeux d'Agius pénétrait à chaque instant un peu plus en son âme dévoilée. Elle souriait, gênée mais envoutée de sa présence, de tout ce qu'elle voyait de lui et qu'elle apprenait à aimer, de plus en plus. Les doigts toujours entrelacés dans un dessin amoureux, ils parlaient peu mais laissaient cet instant, comme une éternité, pénétrer chacun de leur sens.

Son sac fut déposer à côté d'elle et elle lâcha brièvement la main d'Agius, ainsi que ses yeux, pour fouiller dans celui ci à la recherche de ses herbes. Elle sortit un petit sachet de lin, dans lequel se trouvait une mixture d'herbes séchées. Elle se rendit compte alors qu'elle n'avait plus aucun vêtement avec elle. Elle s'était changée à leur arrivée, l'autre chemise étant déchirée. Elle resta pensive un moment quand le domestique apporta l'eau bouillante et lui expliqua qu'il se chargerait de préparer le bain. Elle n'eut pas le temps de dire quoi que ce soit qu'il avait déjà disparu.

On entendit du bruit dans le couloir qui donnait sur le hall. Des cris et quelques sanglots. Le corps avait été descendu et les personnes au service du Comte semblaient boulversés.
Ambroisie eut une pensée pour cet homme qui n'avait pas mérité son sort. Finalement ce fut lui qui paya le plus haut prix de cette misérable affaire.

Elle retrouva les yeux d'Agius et s'y réfugia, tout en ayant préalablement fait infuser la dose d'herbes adéquates pour calmer sa douleur.

Malgré le sourd vacarme des élégies domestiques dans le couloir, rien ne semblait pouvoir troubler la quiétude qui régnait dans la petite pièce. Le lien métaphysique qui unissait leur regard était peut-être la cause de l'ignorance qu'ils avaient du monde extérieur. Plus rien n'existait aux alentours. Le monde pouvait bien s'écrouler dans un énorme fracas antithaumaturgique, qu'ils resteraient là, yeux dans les yeux, main dans la main, dans cette petite cuisine.

La tisane prête, Ambroisie mouilla délicatement ses lèvres au liquide ardent. Agius admirait les moindres courbures de sa bouche entrouverte, la forme qu'elles prenaient lorsqu'elles épousaient le bord du gobelet. Il espérait sincérement que cette tisane produirait sur son moral l'effet d'une Fontaine de Jouvence mythique. Le comte décida néanmoins de prendre la parole :

- Votre jambe vous fait mal depuis longtemps ?

Après quelques gorgées, enfin la douleur commençait à s'estomper et elle put laisser échapper un sourire à Agius qui la contemplait toujours, la gênant au point que ses joues prennent une teinte rougeoyante.

Ma jambe ? Et bien, depuis l'accident dans la maison des bas quartiers, je ne me suis jamais vraiment remise ... Elle reste raide et parfois me lance comme si on y faisait pénétrer une longue aiguille lentement. C'est parfois insupportable ... comme ce soir ...

Ces herbes me soulagent énormément.

Elle lui sourit de manière à le rassurer et laissant de côté les rappels de l'horreur de ce petit matin, elle s'obstina à se rappeler ses bras, ses baisers, son amour, laissant envahir son être de la chaleur de ses émotions dont la seule présence d'Agius à ses côtés la rendait fébrile et le coeur gonflé de cette tendresse qu'on ne rencontre que trop peu.

Le valet revint quelques minutes plus tard en lui signalant que le bain était prêt. Elle s'excusa auprès du Comte, qui la conduisit devant la porte de la pièce d'eau où déjà quelque vapeur d'eau passait sous la double porte. Elle n'avait, de son vivant, jamais pris de bain dans un endroit comme celui-là. Elle n'avait jamais connu que les fûts de chêne remplis d'eau de pluie, ou encore les bains de mer ou de rivière, selon le temps, mais rarement d'eau chaude. Elle avait bien entendu lu de nombreux livres, parlant de la vie des nobles, des délices auxquels ils avaient accès. Tout cela était pour elle, des rêves inaccessibles. Qui aurait pu croire qu'un jour, elle se retrouverait dans un château, avec un homme aimant, dans un luxe que jamais elle n'aurait pu s'offrir. Cela la gênait énormément. Ses joues n'avaient pas repris de couleur normale depuis la veille. La simple présence d'Agius la troublait tellement.

Quelque part, en un coin sombre de son esprit, elle remerciait le ciel de cette nuit mouvementée, horrifiante mais qui les avait tellement rapproché. Elle remerciait la providence que tous les deux aillent bien et que ce cauchemar avait pris la tournure d'un conte de fée. Le bal s'était transformé en nuit câline. Leur amicale rencontre en un amour profond et sincère. Comme cela semblait rapide.

Toute à ses pensées, Agius la fit entrer dans la grande pièce où une jeune femme l'attendait, en pleine préparation du bain. Une petite table présentait quelques objets de toilette comme une brosse à cheveux, un miroir, une serviette, un savon, un plat empli de pétales de fleur. L'odeur était subtile et suave, agréable à l'odorat. La jeune femme s'approcha et lui retira sa chemise.
Perdue, Ambroisie se laissa faire. Elle glissa dans l'eau en montant sur un petit marche pieds déposé près du bain. L'eau était bouillonnante et elle frémit en y déposant le pied. Le temps de s'y faire et avec l'aide de la jeune femme qui la rinça avec de l'eau tiède et du savon, elle s'installa confortablement dans l'eau dont le parfum se fit plus vif.

La toilette faite, la jeune femme s'éclipsa pour laisser Ambroisie profiter paisiblement de l'instant.

» [RP] Le Voyage
» [RP] Campement des Joutes
» [RP] Un Voyage...royal