NOUVEAU FORUM DES DROITS DIVINS

Précédemment Ici.

L'arrivée aux portes de Paris était un soulagement. La voiture passa les portes à vive allure et traversa les rues désertées. Les gardes de la ville remarquèrent le cocher ensanglanté, le visage blanc. Ils n'osèrent en freiner l'allure. La pluie s'était arrêtée et l'orage grondait seulement au lointain.
Ambroisie restait blottie dans les bras d'Agius, toujours endormie et fiévreuse. Sa respiration montrait de l'agitation dans ce sommeil.

La pluie s'était enfin arrêtée comme si elle avait terminé de laver les derniers souvenirs de cette nuit terrible. Si seulement...Malheureusement les blessures du coeur et de l'âme sont plus lentes à faire disparaître que la poussière tenace des routes.

Le comte n'osait faire un geste. Il valait mieux pour la dame qu'elle dorme le plus possible. La nuit lui paraîtra alors plus courte. Telle est notre destinée... faire que notre temps soit le plus court possible. Pourtant quel voyage ! Quel périple au bout des ténèbres !
La lune avait dévoilé bien des mystères cette nuit dans le coeur d'Agius. Et dans un étrange paradoxe, c'est vers les frontières de la mort qu'il trouva enfin une raison de vivre qui soit autre que l'apparence et l'avidité sans borne.

Le véhicule roulait, lui, indifférent au monde qui l'entourait dans les grandes rues sales de la capitale.

Le véhicule traversa la ville et s'en éloigna quelque peu pour enfin atteindre le château du Comte Agius. Les grandes grilles donnant sur les jardins étaient ouvertes. La voiture s'engouffra dans l'écrin de verdure ruisselant sous les gouttes de pluie offrant une symphonie cristalline.

Arrivée près des escaliers menant dans la demeure, le cocher ralentit puis arrêta les chevaux. Il descendit tant bien que mal et malgré sa souffrance, continua à servir son seigneur de la meilleure manière qui soit. Il ouvrit la porte du coche et attendit calmement que son seigneur en sorte. Ses yeux livides en faisait presque un zombi.

Ambroisie était toujours endormie dans les bras d'Agius.

Le comte congédia rapidement son cocher. Celui-ci partit, claudiquant, vers le dispensaire le plus proche.

Agius tenta délicatement de porter la dame sans l'enlever des bras de Morphée. Il marchait, ses bottes sonnèrent sur le petit chemin de pierre qui traversait le jardin figé dans son attitude post-hivernale. Un valet, inquiété, essaya de lui venir en aide, en vain. Ne voulant pas démontrer une fois de plus son inutilité, il ouvrit les battants de la porte finement ouvragée.

Ils entrèrent. Le valet, devant lui, continuait de lui poser de vagues questions inquiètes sans qu'elles reçoivent pour autant de réponse. Agius arriva dans une des nombreuses chambres du château qui était d'habitude vide. Elle serait au moins habité pour quelques heures. C'était déjà une pierre froide de moins dans l'édifice de solitude que le comte s'était construit. Il la coucha délicatement sur le lit aux couvertures de soie. Il ordonna au valet de faire un feu et il s'éloigna dans l'antichambre, bientôt rejoint par le domestique.

Ambroisie fut emportée dans une chambre du château et allongée dans le lit, avec la chaleur d'un feu crépitant dans la cheminée. La douceur des draps froids sur sa peau la réveilla lentement. Il s'était écoulé une demi-heure, peut-être moins. Ses yeux s'entrouvrirent sur l'endroit et surprise, elle se leva d'un bond. Le tiraillement de sa jambe la rappela à son bon souvenir, elle s'assit alors sur le bord du lit. Ses vêtements toujours déchirés, le feu, la pièce. Les douloureux souvenirs lui revinrent à l'esprit. Elle ne se souvenait pas de s'être endormie ... Elle reprit doucement ses esprits avant de se diriger vers la grande fenêtre et voir la nuit déjà bien avancée. Son petit sac de voyage avait été posé sur le fauteuil près d'un chevet. Elle l'ouvrit et sortit une chemise propre qu'elle réservait pour le retour. Peu importait, celle qu'elle portait était dans un tel état. Elle en changea et se dirigea vers la porte, l'entrouvrit lentement pour regarder au-delà ce qu'il s'y passait ...

Agius discutait de sa malheureuse aventure nocturne avec son valet, non sans émettre quelques omissions volontaires. Pendant tout son soliloque sordide, qui n'était rythmé que par les bruits nasillards de consentement du valet, le comte se remémorait les infinis détails de cette nuit qui restera graver dans sa mémoire, pour toujours...
Vertus, le relais, le visage sournois du bandit, son sourire sadique, le cocher, la pauvre Ambroisie... Tout s'embrouillait dans sa tête dans un fatras chimérique. Comment en était-on arrivé là ?
Soudain, la porte s'entrebaîlla sur la personne encore endormie d'Ambroisie. Le valet s'excusa en bafouillant et partit pendant qu'Agius se leva rapidement. Il lui prit les mains et lui dit :

- Vous vous êtes assez reposée ? Vous désirez boire quelque chose ?
Dîtes-moi ce qui vous ferait plaisir, ne vous gênez pas.

La voix d'Agius se faisait entendre derrière la porte, elle écouta brièvement ce qu'il racontait. Les faits lui étaient tout autre, elle n'avait pas vu ce qu'il s'était passé quand elle fut emmenée par les hommes de leur assaillant.
Sa voix se tut quelque peu quand elle passa la tête à la porte. Le serviteur s'éclipsa rapidement, comme gêné.
Elle s'approcha, boitillante, comme d'habitude. Elle lui sourit, malgré un visage des plus blême. Ses yeux évitèrent ceux du Comte alors qu'il lui demandait ce qu'elle voulait. Que pouvait elle bien vouloir ce soir ? Avec ce qu'il était arrivé ....

Elle fixa les yeux sur la cheminée, levant brièvement les yeux sur lui et le fuyant ensuite, elle lui dit doucement :

Une tisane si vous voulez bien, merci. Et vous, vous êtes vous reposez un peu ? Je crois que je ... je me suis endormie ...

Elle s'enlaçait entre ses bras, frottant ceux ci de ses mains. Malgré la chaleur, elle ne ressentait que le froid.

- Une tisane. Bien. Je vous la fait chercher immédiatement.

Aussi tôt dit, aussitôt fait. Agius se retourna pour chercher le domestique qui attendait patiemment derrière la porte de l'antichambre.
Il revint après auprès d'Ambroisie.

- Oui vous vous êtes endormie. Mais si peu. Une demi-heure tout au plus. Vous êtes si pâle, vous devriez retournez vous coucher. Vous êtes en sécurité ici, rien ne peut vous troubler dans votre sommeil... mis à part vous-même...
Et pour vous répondre, non je ne me suis pas reposé. Mais mon voyage au fond des ténèbres ne fut pas aussi dur que le vôtre.

Le valet revint, servit un verre de tisane fumante à la jeune demoiselle qu'il déposa à ses côtés avant de repartir avec d'infinies courbettes.

Elle prit la tisane des mains du valet en lui esquissant un petit sourire. Elle regardait le Comte, exténué. Ses traits étaient tirés et son regard vide. Il avait parlé d'une demi-heure. Ce n'était pas possible. Elle avait l'impression qu'il s'était passé des jours, des semaines. Elle avait même l'impression que le cauchemar s'était prolongé au creux de son rêve.

Vous êtes sûr ? Une demi-heure ... ça me paraissait ... tellement plus long. Elle posa ses lèvres sur le bord de la tasse brûlante, s'ébouillanta la lèvre en s'en rendant compte que trop tard. Ouille ! Elle retira la tasse promptement et la posa sur la petite table du salon où ils se trouvaient. Les flammes dansaient dans ses yeux humides et brillants. Sa voix se fit presque inaudible.
Je crois que je ne pourrais plus dormir ... mais si vous voulez aller vous reposer, messire Agius, je vous y invite vivement.

Pourquoi n'arrivait elle pas à le regarder. Un sentiment de honte, un malaise l'avait atteinte cette nuit là. Quelque chose d'insoutenable. Elle aurait tant aimé être forte, ne pas être un fardeau. Elle aurait aimé mourir si cela aurait pu sauver Agius. Agius ... Ses yeux dérivaient dans le vide, se posant brièvement sur l'homme qui se tenait dans cette pièce avec elle.

Un certain malaise planait, comme une ombre, dans l'atmosphère chaude de la pièce. Agius, ne sachant plus trop où se mettre, triturait ses doigts nerveusement, par timidité peut-être. Ses yeux même restaient baissés vers le sol. Ils contemplaient les entrelacs du tissu coloré du tapis se tordre, s'émousser comme le fil invisible des âmes humaines qui, avec le temps, s'étendait, devenait plus mou avant de se faire finalement couper par les Parques.
Tiens, il est temps de faire la poussière sur ces tentures.
Il risqua tout de même de soutenir le regard de la dame pour lui répondre d'une voix hésitante :

- Le temps est une notion tellement subjective... Il nous paraît plus long lorsque le Destin nous frappe, comme si le Malin, tel un chat devant une souris, s'amusait avec nous avant de nous donner le coup de grâce...
Me reposer ? Oh non... Je préfère rester avec vous... Hum, je voulais dire, pour ne pas laisser vous morfondre. Parfois une présence est nécessaire. Si vous y consentez bien entendu.

Le malaise était grandissant. Elle reprit une gorgée de sa tisane brûlante. Elle avait à peine refroidi. Elle la reposa et sourit au Comte. Elle ne savait plus quoi faire, quoi dire pour effacer tout ce qu'il s'était passé. Elle se leva et s'approcha simplement de lui. Elle aurait été lui demander pardon. Elle aurait aimé effacer tout ceci de sa mémoire.

Délicatement, elle posa sa main sur sa joue, la caressant légèrement. Pouvait elle se permettre ce geste ? Là n'était plus l'important. Elle désirait simplement lui montrer qu'elle comprenait, qu'elle s'inquiétait pour lui.

Elle prit ensuite sa main dans la sienne et parla d'une voix extrêmement douce et fragile.

Je n'ai pas envie de rester seule, ... Agius ... Restez avec moi, je vous en prie.

Ses joues prirent feu. Ses yeux avaient du mal à soutenir son regard dans lequel pourtant, elle plongea à s'y noyer dans ses profondeurs.

Il frémit au contact de la chaleur intense de la main d'Ambroisie.
La douceur infinie de sa peau faisait penser à ces petits nuages cotoneux qui voguent paisiblement sur un ciel d'été, au vol d'un papillon autour d'une fleur printanière, à la feuille que se pose l'automne ou encore les inombrables flocons des premières neiges.

Emu dans ses derniers retranchements, il serra fébrilement la main enchanteresse d'Ambroisie dans la sienne, unit par ce maigre trait-d'union charnel. Il lui dit d'une voix tout aussi frêle, le visage proche du sien :

- Je resterais... Je pourrais rester pour toujours s'il le faut... à vos côtés.

Oubliant les civilités, désormais brisées par cette nuit du Destin, les lèvres d'Agius rencontrèrent celles d'Ambroisie.

Le contact fut doux, aussi doux qu'une brise de printemps, aussi rafraichissant qu'une pluie fine d'été. Ses lèvres goûtèrent lentement les siennes. Lentement ils se rapprochèrent, laissant voguer ainsi leurs émotions.
Le coeur battant dans une symphonie tonitruante, elle frissonna doucement, laissant remonter la vague de sensation le long de son échine dorsale.

Sa main quitta la sienne dans une caresse frémissante pour entourer de ses bras le cou de celui qui faisait déborder son coeur.
Leurs lèvres ainsi en contact, dans un effleurement, se quittèrent brièvement pour que leurs regards se croisent, le temps d'un échange simple et discret de tendresse ainsi contenue. Puis le baiser reprit dans un léger gémissement de la part d'Ambroisie.

Echange de baisers complices, de caresses fiévreuses.
Plus rien n'existait dans ce monde. Tout disparaissait dans un brouillard de volupté indescriptible. Par ce simple échange, Agius oubliait l'ennui des jours précédents, sa noire mélancolie et ces chimères grimaçantes. Au contraire, il baignait maintenant dans un sybaratisme litturgique où les orgues du monde entier et les trompettes de tous les cieux jouaient en coeur pour leurs seules oreilles.

Dans un accès de courage, le comte se décida à rompre leurs liens fusionnels pour lui parler dans un murmure :

- Venez, allons dans la chambre et accueillir le jour comme il se doit.

Il lui prit la main, ses doigts s'entrelaçant aux siens.

Il prit sa main délicatement dans la sienne, tout en y mêlant ses doigts dans un entrelac sensuel. Il se pencha vers son oreille, ce qui la fit sourire d'une chatouille provoquée par son souffle sur sa peau fragile. Il lui murmura de rejoindre sa chambre. Sans équivoque, sans détour, elle comprenait alors ce qu'il lui proposait. Même si cela était chose commune et naturelle, elle frissonna à l'idée. Elle était bien près de lui. Elle n'avait nulle envie de rester seule mais elle ne se sentait pas prête.

Elle l'accompagna dans sa chambre sans dire un mot mais mal à l'aise.
A peine étaient ils entré qu'ils échangèrent d'autres baisers plus passionnés. Des effluves d'un désir hésitant et croissant, d'une vague déferlante abandonnant tout principe à la bonne séance, se déversent en eux comme ce fluide vital qui les maintient en vie.

Lentement, Agius effeuillait Ambroisie avec délicatesse et douceur. C'est alors qu'elle s'écarta doucement, les yeux humides et brillants. Elle avait toujours ce feu aux joues qui la rendait presque juvénile.

Agius ... non ... attendez ... je ... s'il vous plait ...

Jamais une femme n'avait provoqué un tel remous au plus profond de son être. Son âme avait été secouée par une tempête de sentiments, sa raison était perdue et ses sens le trompaient. Il était comme un aveugle, éblouit par la luminosité de l'amour se réflétant sur les mers voluptueuses. . L'océan du sentiment amoureux peut paraître calme, mais, comme dans certaines contrées, cela n'est qu'un leure avant que les vagues de passion se lèvent, chahutant le plus puissant des navires comme une vulgaire coquille de noix.
Tout cela était encore trop précoce après une telle nuit mouvementée. Ils n'avaient besoin que d'une seule et unique chose, d'un repos bien mérité.
Agius balbutia :

- Je vous prie de m'excuser... Pour mon attitude... Nous devrions dormir je pense. Nos cauchemars partireront peut-être... Si vous le désirez encore, je resterais avec vous...

Soulagée qu'il n'insista pas, elle lui fit un doux sourire, tout en gardant sa main dans la sienne, comme un lien qu'elle ne voulait rompre, de peur de le perdre. Elle vit dans ses yeux un océan. Elle qui connaissait la mer, elle n'avait jamais vu telle étendue limpide. Elle y voyageait sans peur, sans doute, menée par un capitaine des plus séduisants. Elle avait chaviré sur son île, elle y avait découvert un trésor. Jamais elle n'aurait pu imaginer être si proche de lui. Son coeur avait trouvé une voie qu'elle avait redouté et qui maintenant la rendait heureuse. Enveloppée dans un voile idyllique, irisé de sentiments amoureux, de promiscuité sensorielle, de musique envoutante, elle vivait un rêve, ce rêve avec lui.

Elle déposa à nouveau un baiser, fermant les yeux pour le savourer pleinement, effleurant de ses lèvres les siennes. Ce contact lui donna la chair de poule tant il était érotique.

Elle lui murmura alors ... Oui, Agius, restez ...

Sur ses mots, elle rouvrit les yeux. Elle se plongea encore dans les miroirs de son âme. Elle fit glisser ses vêtements le long de sa peau blanche. Elle rougissait de plus en plus, se dévoilant progressivement. Elle ne garda que sa chemise. Elle redoutait son regard ...

Il lui reprit rapidement sa main, chaude et rassurante, comme si ce contact matériel lui était nécessaire pour survivre. Il voulait lui glisser à l'oreille toutes les miévreries romantiques qui se bousculaient dans sa tête émerveillée par ce spectacle sortie de rêveries fantastiques. Bien heureusement, il se retint, ne voulant pas briser par la parole ce moment magique si fragile et d'une beauté si intense. Il émit un faible sourire et regardait, les yeux étincelants, les formes enchanteresses du galbe des ses jambes d'ivoire, les courbes devinées derrière le tissu de la chemise qui voilait ou cachait un peu plus de sa personne au gré de ses mouvements.

Il cessa pourtant son regard inquisiteur pour se plonger à nouveau dans l'eau trouble de son regard. Il se noyait dans sa pupille brillante, n'étant qu'un petit point tremblotant dans ses yeux rieurs.
Alors à la place de tous les lieux communs qu'il voulait lui dire, il lui murmura fébrilement :

Merci.

Il l'enjoignit ensuite à se coucher auprès de lui pour se reposer d'une nuit si intense et riche en émotions des plus diverses.

Agius l'avait accompagné jusqu'au seuil du lit où il entrouvrit les draps glacés pour qu'elle s'y glisse. Ambroisie frissonna à cause du froid mais aussi et surtout parce qu'il avait lâché sa main quelques instants afin de retirer ses atours rapidement. Il fit le tour du lit sans la quitter des yeux. Elle souriait, se mordillant la lèvre inférieure, restant assise à le regarder faire. Elle s'imprégnait de tous ses gestes, de chaque son, jusqu'au glissement de ses vêtements. Elle le trouvait beau et d'un charme incroyable.

Il se glissa près d'elle à son tour et elle ne put s'empêcher de glisser entre ses bras, se blottissant contre son torse, son coeur battant. Ils échangèrent un nouveau baiser d'une tendresse extrème.
Le Comte souffla sur la bougie qui maintenait encore une certaine luminosité, les plongeant ainsi dans une intimité totale.

Un voile de pudeur nocturne les enveloppèrent bientôt dans ses ténèbres rassurantes.
Agius fermit les yeux et s'enivra du parfum sauvage et entêtant de sa chevelure. C'était la fragance des bois de Vertus du printemps, la légère senteur musquée de la faible sueur causée par les évènements précédents et une émanation indescriptible, émanant de son propre corps et qui emplissait désormais la pièce silencieuse.

Seul un léger froissement de draps presque inaudible, révélait aux oreilles étrangères une présence. C'était le bruit de leurs caresses aimantes et de leurs baisers suaves. Entre quelques mots passionés, Agius lui murmura :

- Venez vous installer ici, je vous en prie. Ma vie n'aurait de sens si vous n'êtes pas à mes côtés.

Laissant libre cours à ce précieux instants de partage et de douceur, Ambroisie ressentait grandir en elle l'euphorie d'un amour naissant.
Leurs caresses de découverte et de tendresse réchauffèrent rapidement les draps de cette chaleur intense qui les incendiait. Elle parcourait de ses lèvres sa peau échauffée du passage de ses mains. Elle profitait de chaque moment dans ses bras. Le sommeil ne se faisait plus inviter pendant cette nuit-là. L'envie de passer chaque instant dans un océan voluptueux avec lui lui faisait oublier la nécessité de dormir.

Tout doucement quelques mots rompirent les doux bruissements de leur danse nocturne. Ces mots la firent frissonner. Ces mots la touchaient bien plus énergiquement qu'elle ne l'aurait imaginé. Elle se serra tout contre lui, collant son corps entier au sien, déposant un baiser sur son oreille tout en murmurant simplement : Oui ....

La nuit se passa rapidement, trop rapidement à son goût. Elle avait fini par s'endormir dans ses bras, bercée par la caresse de sa main dans ses cheveux et la chaleur de son corps qui l'avait revigorée de ses meurtrissures.
Ses rêves avaient été mêlée de nombreuses images : celles de l'attaque, celle d'Agius et d'elle, celles de son passé, sa jeunesse. Ses angoisses avaient mené Ambroisie sur les voies de son passé et sur les questions toujours sans réponses.

Le soleil avait envahi la chambre, à travers une légère fente laissée par les lourdes tentures qui assombrissaient la pièce. On entendait des bruits de pas à côté. Elle se redressa lentement, sans réveiller Agius qui dormait encore comme un ange. Il devait être tellement fatigué par les dernières épreuves vécues qu'elle ne souhaitait pas le réveiller.

Elle se glissa hors du lit, frissonnant un peu du froid ambiant. Sa jambe la tiraillait de nouveau. Elle avait besoin de prendre sa tisane calmante qu'on lui avait prescrite contre la douleur. Elle s'approcha de la porte de la chambre et l'entrouvrit pour voir une femme en train de nettoyer la pièce. Elle rougissait déjà à l'idée de ce que cette femme penserait de cette situation. Elle attendit que la femme entre dans une autre pièce pour se glisser hors de la chambre et se faufiler jusqu'à la chambre où elle avait dormi à leur arrivée et où se trouvait ses affaires.
Elle se retrouva au centre de la pièce alors que la femme avait disparue dans l'embrasure de la porte. Toutes les portes se ressemblaient et elle n'avait plus aucune idée de là d'où elle était sortie la veille.

La fin de cette longue nuit au milieu du pire et du plus sublime de l'espèce humaine, se passa étangement dans un calme et une douceur étonnante. Le doux parfum d'Ambroisie avait bercé les rêves du comte comme un lointain choeur d'enfants raisonant sur les parois gothiques d'une cathédrale. Une fois n'est point coutume, nul trouble ne l'avait dérangé dans les bras de Morphée.

Lorsqu'il reprit enfin connaissance avec la réalité enveloppée de rosée, de ce matin de printemps, il se tourna vers la place qu'occupait Ambroisie la nuit précédente. Il remarqua avec effroi que l'endroit qui possédait encore sa sublime effluve corporelle n'était plus qu'un amas de draps froissés et informes.
Ses yeux, affolés, allaient dans tous les recoins de la pièce, s'attardaient sur certains meubles, comme si sa divine présence s'accrochait encore sur les quelques ombres qui pendaient aux murs.
Soudain, il vit un rayon de lumière diffuse surgir de l'embrasure de la porte. Il se vêtit décemment avant de sortir vers ce maigre rai d'espoir.

Où pouvait-elle bien se trouver désormais ?
De terribles doutes l'assaillirent. Etait-elle partie pour toujours ? Non, cela ne se pouvait pas... Agius ne s'en remettrait pas... Mieux valait en avertir son valet pour en avoir le coeur net. Il cria donc d'une voix étranglée par une soudaine tristesse :

-Valeeeeeeeeet !!!

Ambroisie s'était glissée au hasard d'une porte, à l'opposée de celle que la lingère avait empruntée. La pièce était sombre, totalement sombre. Elle tâta au hasard, buttant sur des objets sans savoir sur quoi exactement.

Elle posait ses mains sur des matières, n'arrivant pas toujours à deviner la nature de ce qu'elle touchait. La porte claqua derrière elle, rendant absent toute source de naturelle. Elle commença à paniquer, continuant son avancée. Elle n'arrivait pas à trouver une tenture, une fenêtre. Elle chercha longuement puis essaya de retrouver la porte. C'est alors qu'elle se cogna dans quelque chose pendu au plafond, quelque chose coulait de visqueux et gluants. Son sang ne fit qu'un tour en elle, et le coeur battant, elle se mit à appeler Agius d'abord doucement, plus un peu plus fort ...

Pas de valet, il était sûrement entrain d'hurtebiller la cuisinière. Agius nota en son fort intérieur de les mettre à la porte tous les deux dès qu'il saurait si Ambroisie était partie ou non.

Il entendit soudain une légère plainte, comme portée par le vent. Le murmure se fit pourtant plus fort, jusqu'à ce que le comte puisse saisir chacune de ses syllabes. La brise marmonnait son nom. Voilà qui était étrange... Une hallucination ou était-il toujours endormi ? La voix se fit plus institante, Agius reconnut cette fois-ci la voix d'Ambroisie. Il cria à son tour :

-Ambroisie, où êtes-vous ?

Il courut en direction de la plainte, ouvrit la porte d'un geste brusque et les ténèbres de la pièce l'engouffra bientôt. Aucune lumière ne parvenait à violer la terrible obscurité, même la faible lueur du corridor restait, effrayée, au seuil de la porte. Il ne reconnaissait pas cette pièce. D'ailleurs plusieurs pièces du château gardait encore leurs inombrables secrets, Agius n'ayant le temps et l'envie de toutes les voir dans son passé de solitude. Il n'était plus qu'une ombre, entre le monde de la lumière et de la nuit. Il réitéra pourtant son appel :

- Ambroisie ?

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