NOUVEAU FORUM DES DROITS DIVINS

La bibliothèque occupait la partie centrale du deuxième étage du château. Un bureau trônait au centre et les murs étaients couverts d'étagères et de livres poussiéreux. Quelques grandes fenêtres jetaient la lueur blafarde du petit jour dans l'intérieur fermé du cabinet. Une petite porte brisait la symétrie de la pièce
Il avait donné des ordres précis au serviteur pour que celui-ci indique le chemin précis à dame Leane. Il porta une coupe de vin à ses lèvres, attendant patiemment que la visiteuse vienne.

Elle avait fait un effort de toilette... C'est que c'était pas tous les jours qu'une gueuse était invitée au château de Comte.
Invitée... C'était peut-être pas le terme adéquat, elle n'allait pas rencontrer le Seigneur pour lui faire la causette. Toutefois, elle était attendue et aurait pu se sentir importante...

L'imposant batîment s'offrit à elle, la vagabonde était bien obligée d'admettre qu'il était somptueux, certes elle n'y connaissait rien en architecture mais savait reconnaître les jolies choses.

Le garde à l'entrée la dévisagea de la tête aux pieds. Oh elle était habituée et n'y prenait plus garde.

Bonjour mon brave. Dame Leane, je suis attendue par le Comte.

L'homme hocha la tête et, d'un signe, lui intima l'ordre de le suivre.
Ils traversèrent multiples couloirs le long desquels la jeune femme admirait quelques tapisseries.
Après quelques minutes, il l'introduit dans une pièce spacieuse où le Comte attendait, un verre à la main.

Le garde inclina la tête...

La Dame est là, Monsieur le Comte.

Leane balaya la pièce du regard. De nombreux livres était disposés sur des étagères, représentant pour l'instant qu'un amas de papiers pour la vagabonde, et non une multitude de trésors.

Elle fît une révérence dont elle avait le secret.

M'Sieur l'Comte, merci de me recevoir dans vos murs. Je ferai mon possible pour ne pas vous décevoir.

Agius posa négligemment la coupe sur le bois vernis du bureau lorsque le garde entra. Le petit choc métalique fit écho au lourd bruit du garde frappant la petite porte. Il regarda fixement l'entrée et fut réellement surpris de la jolie mise de dame Leane. Décidément, elle se transformait à vue d'oeil depuis leur première rencontre. L'extérieur pouvait être aisément changé, mais l'intérieur serait bien plus difficile.

Il s'inclina profondément et lui répondit :

- Chose promise, chose due. Je me sentais responsable de votre illetrisme lorsque j'ai chassé l'ancien propriétaire de ces lieux. Considérons plutôt que j'allège ma conscience.
Je suis sûr que vous ne me décevrez pas. J'ai remarqué que aviez de l'esprit dès le début.

Après un léger silence, il reprit.

- Evaluons d'abord vos capacités. Vous savez écrire votre nom ou l'univers des lettres vous est totalement étranger ?

Leane était quelque peu surprise par tant d'amabilité, elle resta tout de même sur ses gardes, se remémorant les recommandations qu'Agius lui avait donné lorsqu'elle lui eut avoué que le Comte Uriel souhaitait l'instruire.
Elle esquissa tout de même un léger sourire.

Je suis heureuse de voir que vous êtes un homme de parole Sieur.
Espérons simplement que mon esprit se montre à la hauteur de votre enseignement.

La première question posa déjà quelques problèmes...

Je suis au regret de vous dire que je n'y entends absolument rien aux lettres. En revanche, pour ce qui est des chiffres, je sais les reconnaître sans aucun soucis, je saurais sans doute les écrire aussi.

La jeune femme devait bien reconnaître qu'elle en tirait une certaine fierté, jusqu'à ces derniers temps, les chiffres lui avaient bien été utiles.

Agius se frotta le menton.

- J'espère bien que vous vous y connaissez en chiffre. Je ne veux pas qu'on dise que j'engage des incompétents en tant que conseiller. Votre travail est remarquable au contraire.

Le comte prit une feuille de papier jaunâtre, prit une grande plume d'oie blanche sur le bord du bureau, la trempa dans l'encrier et écrivit le nom de Leane en grosses lettres.

- Commençons déjà par ceci.

Il lui tendit le papier en lui disant ces mots.

- Vous voyez, la première lettre, celle qui est longue et se termine par une boucle en haut. C'est la lettre "L" en majuscule. Puis la suivante est un "e", écrasé comme nos lèvres le font lorsqu'elles l'expriment. Puis le "a", grand rond ouvert comme la bouche. Ensuite le "n", et ensuite encore la forme écrasée du "e". Vous suivez ? Essayez de réécrire votre nom, puis chaque lettre séparée.

La plume était maladroite, quelques tâches d'encre sur le papier, la jeune femme tentait de reproduire aussi bien que possible le modèle. Ce qui pouvait paraître bénin aux yeux de beaucoup était pour elle de la plus haute importance.

Le "a" ne lui posait pas de difficulté, elle avait bien saisi la ressemblance entre la forme de la bouche et la lettre, en revanche, pour le "L" c'était une autre affaire.

Le "e" était tantôt réussi, tantôt bien trop écrasé.

La vagabonde remplissait sa page d'écriture sans grande conviction de réussite mais elle était bien décidée à apprendre, même si la patience du Comte serait mise à rude épreuve.

Elle lui tendit la feuille, sans avoir pris la peine de poser la plume, si bien que l'encre s'écoula sur les doigts du Maire.

Elle le regarda, se mordant les lèvres pour ne pas rire, essayant de dissimuler le grand sourire qui lui brûlait les lèvres.

Hum...Alors qu'en pensez-vous?

Le comte contempla ses doigts un instant, hébété. Puis, il se mordit la lèvre inférieur pour s'empêcher de rire. Il regarda le regard amusé de la jeune femme.

- C'est très bien pour un début. Il y a certes quelques imprécisions, mais je ne faisais pas mieux moi-même à mes débuts.
Nous allons passer à la lecture je pense. Mieux vaut avoir les bases et commencer l'écriture ensuite.... et ce sera moins salissant.

Il se dirigea vers une étagère située à mi-hauteur ; il laissa traîner négligemment ses doigts sur les couvertures cuivrées et bordeaux des puits de savoir. Il s'arrêta sur le cuir rouge d'un petit livre. Il le sortit, le contempla sous la faible lumière du jour et l'amena sur le bureau.
Là, il l'ouvrit et le livre dévoila tous ses secrets. Les pages jaunes étaient couvertes de grandes enluminures, et de lettres de différentes tailles et de différents style, allant de la gothique à la carolingienne, de la capitale à la minuscule.
Agius pointa son doigt sur la première lettre.

- Celle-ci vous est familière n'est-ce pas ? Hé oui c'est le "a". Parmi toutes ses formes, il y a une constante. C'est toujours la lettre qui soupire, qui crie, qui ouvre sa bouche vers l'infini.
Ensuite vient le "b", lettre la plus stupide de l'alphabet. C'est le "b" de bête, de benêt. La personne est droite, sa bouche s'avance dans un mouvement grotesque, comme un mouton qui bêle. Voici la lettre "c"

Agius continua ainsi jusqu'à l'ultime lettre de l'alphabet.

La jeune femme était émerveillée par la beauté des lettres, elle effleurait les pages, caressait les courbes des écritures du bout des doigts.
Elle écoutait chaque explication que lui donnait le Comte avec le plus d'attention possible, il avait une façon bien particulière de lui enseigner, mais elle permettait à l'élève de se souvenir.
Pour certaines lettres, Leane grimaça, comme par exemple le "c" et le "s".

Pourquoi avoir donné la même consonance à plusieurs lettres si ce n'est pour compliquer les choses?

Sa question était sans doute stupide, mais elle lui fit comprendre qu'elle n'apprendrait pas aussi facilement qu'elle l'aurait pensé.
Mais peu lui importait, sa motivation restait intacte, elle n'avait pas l'intention de baisser les bras même si cela devait lui prendre des mois.

Un simple regard vers le Comte:

Merci de m'accorder votre temps.

Agius sourit.

- C'est la difficulté et la beauté de la langue. Ce n'est pas seulement pour complexifier dans le seul but de complexifier. Chaque mot est une perle pour un poëte. Il les utilise tout d'abord en fonction des sons, la poésie étant un art oral, mais également selon leur forme. Ainsi un "c" est court devant un "e" ou un "i", tandis que deux "s" allongent le mot comme un sifflement, le mot s'allonge comme la lettre. Le "c" est aussi cassant, sec, le "q" est plus rassurant (sans jeu de mot bien sûr). Il est rond et comme il est suivi par un "u", la lettre semble s'allonger d'elle-même, se radoucir au contact de la voyelle. Tandis que le "c" est cassant, c'est une gueule ouverte sur l'abyme.

Le comte avait la gorge sèche à cause de tant de palabres. Il trempa ses lèvres dans le vin.

- Bah ! Trêve de remerciement, cela me radoucit horriblement. Mieux vaut que je passe mon temps à vous instruire qu'à me morfondre seul.
Vos voulez du vin ?

Un petit sourire sur les lèvres, une lueur amusée au fond des yeux, la jeune femme restait sceptique.

J'ai du mal à croire que vous puissiez vous morfondre, vous semblez plutôt aimer vous entourer.

Quant à vous adoucir, c'est fort possible, je vous ai vu plus grincheux. Ajouta t-elle en riant.

Je prendrai volontiers un verre de vin, je ne peux décemment vous laisser boire seul. Et puis un verre offert par un Comte sera, j'en suis persuadée plus goûteux que toute la piquette que j'ai eu l'occasion d'avaler avant d'arriver dans cette ville.

Elle s'interrompit quelques instants avant de reprendre.

J'entends bien la beauté de la langue et j'envie ceux qui savent aisément manier les mots.
A bien y réfléchir, la complexité rend la chose bien plus attirante, elle accroît mon désir d'apprendre.
Et puis maintenant que je me suis habituée à un certain confort, j'avoue que j'aurais du mal à retourner dans les rues.

Attendant qu'il lui serve un verre, la jeune femme se leva pour admirer les nombreux chefs d'oeuvre qui ornait les étagères.

- Oh, la solitude peut nous envahir, même lorsque nous sommes apparemment bien entourés. Nous vivons dans un monde d'illusion.

Oui certes, j'ai été plus grincheux.

Le comte sourit et servit à la jeune un verre de cristal du nectar viticole.

- Ne les enviez pas, vous les rejoindrez bientôt. On n'envie que l'inatteignable.

Puis, elle se leva et adrmirait les quelques tableaux qui ornaient les murs.

- Cet homme aux gants, une oeuvre d'un Italien.. Titien. Le plus grand portraitiste du moment. Il a un grand talent, surtout dans la couleur où il excelle. Quel contraste. Tout notre siècle condensé dans sa palette.

La jeune femme fixait la toile, perdue dans ses souvenirs. Titien... Elle était certaine d'avoir entendu ce nom quelque part. Après un instant de réflexion, elle se souvint enfin.

Tiziano Vecellio murmura t-elle.

J'ai eu l'occasion d'admirer de nombreuses fois l'une de ses oeuvres dans une maison où je.. Elle se mordit la lèvre, interrompant sa phrase.

La... propriétaire était italienne et vouait une grande admiration à l'artiste, qui d'après elle soulignait parfaitement la beauté de la femme dans sa nudité la plus totale.

Léane réfléchit quelques instants.

C'était quelque chose comme... Vénus Ana.. Anadygène.

Elle grimaça. Non, ce n'est pas cela, je ne me souviens plus du nom exact du tableau, mais c'est une oeuvre d'une beauté remarquable.

Elle rougit de tant de sottises. Comment pouvait-elle juger de la beauté d'une toile, elle ne connaissait rien à l'art. Pourtant, ce portrait l'avait attirée et elle s'était surprise plusieurs fois à rester de longs moments devant.
Elle marcha jusqu'au bureau, porta son verre à ses lèvres.

On dit souvent que la première impression est la bonne, pourtant j'avoue m'être trompée à votre sujet.
Je vous avais pris pour l'un de ces bourgeois se suffisant de leur seule personne, mais vous m'avez prouvé le contraire. Vous me donnez la chance de donner un sens à mon existence. Je ne trouve même pas de mots pour vous exprimer ma gratitude.

Il était temps maintenant de tirer un trait sur ses années noires, la jeune femme devait se concentrer sur l'avenir, servir le comté et plus particulièrement ses habitants.

Plusieurs années sont passées depuis et la jeune gueuse a complètement changé tant que physiquement, intellectuellement,….

La voilà aujourd’hui Maire de Paris, où elle essaie insuffler un certain dynamisme à la ville. Elle y arrive tant bien que mal avec l’aide de ses nombreux conseillers. Ce qui lui vaut d’être estimée par la grande majorité des parisiens.
C’est une femme à responsabilités qui n’hésite pas de prendre les choses en mains en l’atteste sa fonction de procureur.
Leane est un exemple pour les femmes qui sont en bas de l’échelle sociale. Elle a prouvé que pour y arriver, il faut se battre jour après jour et saisir les occasions.
Actuellement première Dame de Paris, côtoyant régulièrement la famille Royale et les personnes influentes du Royaume, nulle doute que nous n’avons pas fini d’entendre parler de Leane.

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