NOUVEAU FORUM DES DROITS DIVINS

L'université un peu vide ces temps-ci à cause des remous multiples qui secouaient le royaume. La théologie, science autrefois chérie, tombait désormais en désuetude, l'être humain plus étant plus occupé et plus leste à sauver son corps que son âme. Pourtant Agius volait redonner un nouveau souffle à l'esprit tant admiré des Parisiens en placardant un peu partout en ville quelques affiches :

Citation :: Dispute en ce jour-ci sur la philosophie tybaldiste et sur la validité de ses principes entre le comte Agius et dame Ambroisie.
Ouvert à tous et à toutes les interventions.

Invitée par le Comte, Ambroisie pénétra dans l'université. Le lieu était prestigieux, comme tous les hauts palais de Paris. Il était néanmoins sobre et d'un classique dénué de toute accroche insignifiante.
Le lieu prêtait à la méditation et les rencontres culturelles afin de partager un peu plus qu'une tasse de tisane.

Ses pas résonnants sur le sol, elle aperçut Agius se tenant non loin, donnant quelques explications à un gamin aristocrate en pleine étude. Elle s'approcha lentement, atténuant ainsi le bruit de ses pas, pour ne pas déranger de suite la discussion.

Après un bref instant, Agius eut conscience de sa présence et se retourna, sourire aux lèvres. Ambroisie répondit avec autant d'envergure à son beau sourire et prit le bras qu'il lui tendit.

Bonjour mon Aimé. J'espère ne pas être en retard ...

- Vous êtes exactement à l'heure ma douce amie. Suivez-moi. Allons parler de choses sérieuses devant un public qui n'attend que vous !

Il posa une main attendrie sur celle posée sur son bras et il avança sur quelques mètres, le long de ce couloir oùrêvassaient quelques étudiants en manque d'héroïsme et de concupiscence. Il poussa nerveusement une porte sur sa droite et découvrit une salle pleine de jeunes gens boutonneux ou de vieillards aigris les regardant férocement.
Ils avancèrent néanmoins jusqu'au centre de la salle, se séparant, à regret, rejoignant chacun les positions que leurs pensées occupaient.
D'un signe de main, galanterie oblige, Agius invita son amie à décrire les principaux principes du Thybaldisme.

Elle le suivit, le long de ses couloirs interminables, ne prêtant nulle attention au décors, les yeux rivés sur celui qui l'accompagnait. L'arrivée à la salle arriva trop tôt à son goût mais elle avait accepté de se joindre à son Ange dans ce débat théologique qui, espéraient ils, aideraient à éclairer la lanterne de la Foi.

Elle le quitta tout aussi à regrets que son regard qui la voyait s'éloigner. Elle maudissait déjà la personne qui avait choisi des positions si éloignées. Ils n'allaient pas s'entretuer que diable !

Elle toussota un moment, balayant la salle de ses yeux impressionnés. C'était donc à elle de commencer ...

Messieurs, Dames, Bonjour. Bienvenue au coeur de ce débat qui opposera le Tybaldisme à ses détracteurs comme Monsieur le Comte ici présent.

Je vais essayer de synthétiser une présentation légère de ce qu'est le Tybaldisme.

Le Tybaldisme représente 4 Dieux fondamentaux. Fuega, Dieu du Feu. Terra, Dieu de la Terre. Aera, Dieu de l'Air. Aqua, Dieu de l'Eau. Tybald est leur prophète.
La Symbiose de nos Dieux donne la Vie et repousse le Néant vers les frontières de la réalité. En nous résonne l'appel des Dieux et nous apporte l'Amour en différent degré de propagation de notre Foi en nos Dieux.
Chaque personne est habitée par une étincelle de nos Dieux, ceux là même qui nous permettent de vivre en propageant leur matéria divine.

Nous sommes enfants de Fuega, la force et le courage, le désir, la passion ..
Nous sommes enfants de Terra, l'endurance, l'empathie, la rigueur, l'ordre...
Nous sommes enfants d 'Aera, la frivolité, la joie, le changement, le chaos ...
Nous sommes enfants d'Aqua, la rapidité, la fermeté, l'honneur, la compassion ...

Elle fit une pause.

Cher Agius, avez vous quelque chose à dire jusque là ?

Agius prit la parole, légèrement gêné.

- Malheureusement oui... Une multitude de choses...
Je ne suis pas d'accord premièrement sur le fait d'avoir quatre dieux, d'autant plus lorsque ceux-ci sont matières. Admettons la possibilité que la pluralité divine existe, ne serait-elle pas incompatible avec la notion même de l'essence de Dieu ? Quatre infinis, quatres absolus pourraient-ils exister par définition ?

Je reviens sur une autre de vos phrases et je vous laisse poursuivre votre débat.

Citation :

La Symbiose de nos Dieux donne la Vie et repousse le Néant vers les frontières de la réalité

Si votre religion expose le problème du mal ainsi, il n'y a pas quatre dieux, mais deux, le Bien et le Mal, l'Existence et le Néant. La division du Bien en feu, eau, terre et air devient inutile et même absurde, et voici le nombre de vos dieux réduit pour l'instant au nombre de deux. Êtes-vous d'accord avec mon raisonnement ?

Le Comte Agius avait invité Leane à se joindre au débat. Elle ne lui avait pas caché qu'elle avait déjà du mal à croire en un seul Dieu alors quatre!!!
La jeune femme était persuadée qu'il se cherchait une alliée, cette idée la fit sourire.
Discussion théologique... Elle haussa les épaules, elle n'entendait rien à la religion, enfin presque rien. Elle avait fini par admettre que, peut-être, il y avait quelque part une force divine, mais les épreuves qu'elle avait jusque là traversées faisaient qu'elle restait très "terre à terre".

Toutefois avec un effort non dissimulé au Comte, elle avait fini par accepter de se rendre sur les lieux du débat.

Elle était confortablement installée au milieu d'un groupe de gens aux allures étranges, tous des intellectuels, mais que faisait-elle là?

Elle écoutait avec attention le début de la discussion, tantôt levant les yeux au ciel, tantôt fronçant les sourcils pour essayer de comprendre.
Quelque chose lui disait que ce débat serait, pour elle, des plus ennuyeux...

Kheysa avait eu vent d'un débat qui se tiendrait sur Paris, Abbesse de Reims, elle se devait plus que jamais de ne point rater cet évènement. Elle avait donc fait ses bagages pour quelques jours et avait filé en la grande capitale. L'université ne fut pas difficile à trouver, la vue de Paris lui donnait fort envie de flâner dans les ruelles mais ce n'était point le jour, la religion attendait plus que jamais.

Mettant de coté ses rêveries vagabondes, elle entra dans le bâtiment, quelques personnes y étaient déjà. La jeune femme salua d'un signe de tête les personnes présentes et prit place afin de suivre les interlocuteurs dans leurs discours. Le débat fut entamé par une femme qu'elle ne connaissait pas, son interlocuteur par contre elle le connaissait, quelques missives entre curés de paroisse l'avait permis.

Elle pensait que la religion était une chose si complexe pourquoi encore la compliquer davantage. La jeune femme avait quant à elle son avis sur le sujet du jour, mais resta silencieuse préférant écouter d'abord et peut être intervenir quand le moment serait opportun.

Ambroisie écouta Agius avec attention et patience comme à son habitude. Elle savait très bien qu'il allait réagir et que ce n'était pas près d'être fini, néanmoins, avec beaucoup de douceur, elle réagit, tout en remarquant l'entrée de Leane et d'une autre femme qui observait la scène.
Leane avait presque une mine obligée tant son regard fuyait vers ce qui devait être de la rêverie ou d'autres horizons.

Ambroisie sourit et quand Agius termina ses questions, elle prit un instant de réflexion avant de s'aventurer vers les chemins hostiles qui se préparaient devant elle.

4 Dieux oui, car ainsi sont les choses. Croyez vous que nous avons décidé d'élever sur l'autel 4 idoles bouffonnes pour faire joli ?
Ces Dieux ont chacune une signification, une facette de notre être qui a nécessité qu'on le représente. Parce que nous ne pensons pas avoir un dieu qui nous a créé à son image mais des séquences d'esprit qui ont forgé nos mois intérieurs. Car il est plus important notre coeur que l'apparence que l'on donne, les Dieux ont en cela le pouvoir d'être nos guides. Certes, les éléments sont objets et triviaux. Certes la terre, l'air, le feu, l'eau, sont puisés dans notre environnement mais ils sont avant tout symbole de nos actes, de nos passions, de notre coeur à tous.

La Vie n'est que la lumière émise par nos dieux. Le Néant étant son obscurité. Ce ne sont pas là des entités mais bien des effets, des résultantes de ce que provoquent en nous les Dieux.
De plus, on ne peut comparer la Vie et le Néant au Bien et au Mal qui s'équilibrent. La Vie est un tout, avec son bien et son mal. Le Néant, c'est le vide et l'absence de Vie. Chaque Dieu contient une part de Bien et de Mal dans son essence.

C'est cette notion d'absolu qui n'existe pas dans le Tybaldisme. Vous me direz que votre dieu est l'absolue bonté, qu'il aime tous et toutes. Mais n'envoie-t-il pas en enfer les hommes mauvais ? les hommes qui ont pêchés ?
Le Paradis et l'Enfer n'existent pas en Tybaldisme. Ce sont des notions qui n'indiquent que des lieux qui l'on mériterait d'habiter après la mort. Mais notre ascension est toute autre.

Il aperçu du coin de l'oeil l'arrivée de dame Leane et de damoiselle Kheysa. Malgré ces deux apparations, il écouta d'une oreille attentive la sublime défense du Tybaldisme que faisait sa chère amie. Il était difficile de démeler pour lui, les véritables défauts et qualités de cette religion tant elle était joliment décrite par la seule qui était capable de le faire.
Il se résolut néanmois à intervenir :

- Avec humilité, je pense que vous êtes plutôt partis du postulat des quatres éléments avant de broder autour, avec habilité certes, une philosophie dogmatique de symboles qui puisse convenir à votre axiome.

Vous dîtes que la notion d'absolu n'existe pas dans le tybadisme. C'est terrible ! Vos dieux ne seraient donc pas infinis, mais mortels, n'étant aux cieux que pour un instant ? Ils ne seraient pas la cause première, car leur nature finie les en empêche. L'univers ne serait-il alors qu'une succession de cause à effet et d'effet à cause se répétant à l'infini ? N'a-t-il pas de commencement et de fin ? Si les dieux tybaldistes ne sont pas absolus, pourquoi notre âme le serait et même pourquoi notre âme existerait ? Bref, la finitude des dieux non-absolus est impossible et absurde. Ce n'est qu'une base pour des matérialistes qui ne veulent pas comprendre que notre âme est comme l'Unique, infinie et absolue.

Ce n'est pas mon dieu qui juge et qui envoye cruellement l'homme pêcheur en enfer... Ne croyez pas que notre Paradis soit un nouvel Eden fait de fleuves lascifs et d'oiseaux faisant mille vocalises. Non, le Paradis n'est que le bonheur le plus complet, lorsque notre âme et notre corps ne font qu'un et qu'ils sont entièrement tournés devant la lumière divine, dans une admiration éternelle. La Vie n'est qu'un cadeau que le Démiurge, le Créateur, nous offre. A nous de choisir si nous nous montrons dignes de ce cadeau d'amour ou si nous le refusons. Si nous le refusons et agissons contrairement aux prinicpes de la religion, selon les principes de le Vil Esprit, esprit de la création qui lui aussi au nom de la liberté s'est affranchit de ce qu'il croyait être le carcan des règles divines. Le Démiurge nous offre à notre mort -qui n'est qu'une résurrection- sa lumière le Vil Esprit ne peut nous offrir que les ténèbres et le silence, le véritable Enfer. C'est ainsi que ma religion voit la vie et la mort.

Le long discours de son tendre la fit sourire. Même si elle restait perplexe à ses explications qui finalement l'interpela sur un mot : l'absolu.

Tout d'abord, les Dieux ont été, sont et seront pour l'éternité nos guides spirituels. Ils existent et leur présence est signifiante autour de nous, c'est ainsi que les éléments les représentants ont été puisé dans la nature. Fuega, Terra, Aqua et Aera sont Esprits et Parcelles de Vie. Ils ne peuvent avoir de finalité par la seule notion de mort car cela signifierait la fin de la Vie de l'Homme. Si l'un d'eux venait à disparaitre, imaginez le Chaos engendré ? Une part de nous serait supprimée et nous ne serions plus en Equilibre avec la Vie.

L'absolu n'est, pour moi, pas synonyme d'infini. Nos Dieux sont infinis, par leur essence même. La continuité de notre être est une réincarnation dans une autre Vie. Car l'Homme meurt et revit par la volonté de ses Dieux, lui permettant de s'accomplir et d'apprendre.
N'avez vous jamais eu l'impression d'avoir déjà vécu un évènement ? N'avez vous jamais eu l'impression de connaître des choses dont vous ne devriez avoir notion ? Ce sont vos vies antérieures. Il n'est nulle promesse d'un quelconque paradis car le bonheur, nous le vivons ici et en présence de nos Dieux qui se trouvent en toute chose. Nous ne disparaissons que si nous renions les forces que nous donnent nos Dieux.

Enfin, nous arrivons au vrai noeud gordien, la réincarnation ! Le matérialisme latent éclatait enfin à la lumière de la Vérité ! Agius reprit la parole :

- Je suis d'accord, l'absolu n'est pas l'infini, l'infini comme l'entend la majorité des personnes. La notion d'absolu englobe la notion d'infini. Ainsi l'Être Suprême n'obéit pas aux limites du temps, de l'espace et il ne peut être réellement comprit dans son entier par la raison. Si vos dieux ne sont pas absolus, ce qu'ils ne peuvent être puisqu'ils sont quatre, ils sont sujets au carcan du temps et de l'espace et sont donc mortels. Vous savez tout comme moi, qu'il a quelque chose de plus puissant que ces quatre dieux.

La réincarnation est impossible. Dîtes-moi... avez-vous retenu quelque chose de vos vies antérieures ? Quant aux impressions... ce ne sont que des impressions... Nos sens sont trompeurs, il n'y a que la raison qui ne puisse se tromper. Et dîtes-moi quel dieu aurait la cruauté de nous infliger une seconde, une troisième, une infinité de fois la vie ? L'être humain ne trouve pas son Paradis ici... Chaque vie n'est qu'un long cheminement vers le bonheur. Et lorsque l'Homme croit l'avoir atteint, il se remet en route, il le recherche encore et encore jusqu'au crépuscule de sa vie. Car il possède en lui un vide. Une vague idée du bonheur suprême du Paradis auquel il a été arraché pour vivre sur cette Terre. Le Paradis et donc l'ultime bonheur ne sera accessible qu'à celui qui, à sa mort. sera parvenu à suivre le Bien.

Depuis le début de la conférence, Judoka écoutait attentivement les dires des experts de théologie. Lui qui vient de se faire baptiser en ce début d’année lorsqu’Agius était encore Curé de Paris. C’est d’ailleurs ce dernier qui l’invita à participer à la dispute. C’est donc avec joie que Judoka traversa la Seine pour se rendre à la Sorbonne.
Mais maintenant après plus de deux heures de débats sur une multitude de doctrines, tout se mélangeait dans la tête du jeune homme. Lorsque soudain notre cher Agius aborda la réincarnation ceci réveilla Judoka. Car venant de se faire baptiser à une religion monothéiste, Agius lui avait expliqué que la réincarnation était remplacée par le jugement dernier dans sa nouvelle religion. Fier de savoir cela alors que la plupart des théologiens présents ne connaissent pas cette conception, il se permit alors de prendre la parole et de faire une brève parenthèse sur le jugement dernier.
Tout le monde écoutait avec admiration ce jeune croyant venu de l'autre bout du monde.
Il termina sa parenthèse par un petit résumé.

Ce que vous devez retenir du jugement dernier c’est le jour où tous les hommes devront rendre compte devant Dieu de ce qu'ils ont commis durant leur vie sur Terre.

Lorsqu’il eut fini de vanter ses connaissances que lui avait enseigné Agius lui-même, il alla se rasseoir tête baissée dans un tonnerre applaudissement.

Même s'il n'avait pas suivi tout le débat, le Père Huon se permit d'intervenir :

mon cher Agius, mes frères, mes soeurs, ici présents :

oui, bien sûr, nos dieux (sans majuscule !) ne sont pas infinis, ni dans leur bonté ni dans leur puissance.
Ils sont l'incarnation visible en 4 éléments d'un tout omniprésent que j'appelle "l'Amour", que notre Pape Thibaud appelle "l'Harmonie", ou d'autres encore "la Nature".
Tout ce qui nous entoure est constitué des 4 éléments, de terre, de feu, d'eau et d'air. Certains se sentent plus en phase avec Fuego, le dieu de la passion, ou avec Terra, celui la sérénité, etc ...
Cela dépend du caractère et de l'histoire de chacun, ou aussi de son métier, par exemple.

Mais les dieux ne sont pas que bons ou mauvais. Chaque dieu a une part de chaque.
Par exemple Fuego réchauffe quand il fait froid ... mais il peut bruler aussi !
L'eau nous est indispensable à la vie mais elle peut noyer, détruire aussi !
Et ainsi de suite pour chacun.

Foin de l'absolu, du Bien ou du Mal défini ... par qui d'ailleurs, par vous, Agius ?

Non, les dieux sont omniprésents, mais ils ne sont pas tout puissants. Nous sommes responsables de l'Harmonie, et garant de notre Amour !
Pour le Thybaldisme, ni Enfer, ni Paradis, mais la vraie Vie à respecter et l'harmonie à préserver, chaque jour !

Une petite parenthèse sur la réincarnation !
Effectivement, je ne sais pas ce que j'étais avant cette vie.
Mais l'eau dont je suis constitué a déjà été bu ... et elle retournera à Terra après ma mort, Fuego réchaufera la terre et Aera la transportera ... et ainsi de suite !
"Rien ne se crée, tout se transforme !"

Le Père Huon se rassit et essaya de rester concentrer pour suivre la suite du débat.

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